Nous avons... ... lu l'ouvrage «Les données probantes et l’éducation»

Sous la direction de Sihame Chkair et Sylvain Wagnon, De Boeck Supérieur, 2023

L’ouvrage Les données probantes et l’éducation a l’ambition de définir, d’analyser et de comprendre l’importance des données probantes — ou evidence-based practice — utilisées dans le domaine de l’éducation. Il est le résultat d’une série de rencontres et de débats entre expert.es autour de cette question, qui avaient pour objet la relation entre les résultats de la recherche et les pratiques sur le terrain. L’ouvrage attire l’attention sur les avantages ainsi que sur les risques et les limites de l’utilisation des données probantes en éducation.

Les données probantes

La méthodologie de recherche de données quantitatives dites probantes, inspirée de la recherche médicale, se propose d’évaluer les effets de différentes pratiques par des méthodes expérimentales rigoureuses avec des essais contrôlés randomisés (dont les participant.es sont répartis aléatoirement dans deux ou plusieurs groupes qui reçoivent des traitements différents). Les données probantes en éducation fournissent donc des résultats considérés comme des preuves, menant à des conclusions qui peuvent servir de base utile à la prise de décision. L’evidence-based education, c’est-à-dire la prise de décision basée sur ces données, est apparue aux États-Unis et au Royaume-Uni à la fin des années 1990, mais c’est seulement à partir de 2006 que l’Union européenne a joué un rôle important dans la promotion de l’utilisation des données probantes dans le processus décisionnel aux niveaux politique et pratique dans les pays européens.

Dans l’ouvrage, au-delà de l’utilisation de ces données en éducation, se pose également la question de leurs conceptions, productions, évaluations, usages et finalités. Des doutes persistent en effet sur la transférabilité de cette méthodologie de la médecine à l’éducation. La controverse ne porte pas sur les données probantes en tant que telles, mais se focalise notamment sur leurs résultats et leurs interprétations. Sont-elles vraiment généralisables ? Peuvent-elles suffire dans un domaine tel que l’éducation qui possède un nombre de paramètres multiples, variés et impliquant différents acteurs et actrices ?

Les enjeux pour l’éducation

Les différentes contributions à l’ouvrage apportent donc un éclairage varié et parfois critique sur l’utilisation des données probantes tout en illustrant la complexité des politiques publiques d’éducation et de leur mise en œuvre. Elles interrogent le passage de la recherche à la pratique, c’est-à-dire l’intégration de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques, de changements de comportement et de modes de vie. Elles soulignent notamment le fait que, pour rendre la transférabilité efficace, il faut que la nouveauté à intégrer soit acceptée par l’ensemble des acteurs et actrices concernés et que le modèle prescrit soit répliqué fidèlement. Pour analyser cette phase transitoire entre la recherche et la pratique, on peut avoir recours à la recherche translationnelle. Cette approche propose en effet d’adapter et d’évaluer des programmes éducatifs et de prévention ayant montré leur efficacité à travers des études scientifiques, pour ensuite les mettre en œuvre sur le terrain.

Si l’on comprend facilement que les données probantes sont obtenues de manière rigoureuse avec des méthodes scientifiques validées, les auteur.es mettent toutefois en garde contre le fait que, comme tout type de données, celles-ci présentent certes de nombreux avantages mais également des inconvénients. Elles ne sont pas plus objectives ou plus représentatives d’une vérité que d’autres types de données. En effet, derrière ces données et les recherches qui les génèrent, sont définis des conceptions, des productions, des évaluations, des usages et surtout des finalités qui leur sont propres. Si la constitution et la multiplication de données probantes sont nécessaires à une meilleure connaissance de l’acte éducatif, en montrant l’efficacité d’un processus, d’une méthode d’enseignement ou encore d’une intervention didactique, elles ne sont cependant pas suffisantes pour la prise de décision.

L’éducation est un phénomène complexe à observer et se limiter à des données mesurables et quantifiables, sans prendre en compte les multiples paramètres de contexte, d’environnement, d’organisation du temps et des espaces ou les connaissances et les opinions des différents acteurs et actrices, réduirait la portée de leur utilité. L’utilisation de méthodologies différentes, l’apport de recherches qualitatives et une connaissance fine des paramètres de l’acte éducatif sont une nécessité pour appréhender la complexité de l’éducation.

 

Franca Armi
Collaboratrice scientifique IRDP

Novembre 2023

Sihame Chkair est économiste de la santé, docteure en économie de la santé et doctorante en sciences de l’éducation. Ses recherches explorent les liens entre recherches en éducation, expérimentations pédagogiques et politiques publiques.

Sylvain Wagnon est historien, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montpellier. Ses recherches et travaux explorent l’histoire et l’actualité des pédagogies d’éducation nouvelle et des pédagogies alternatives.

 

Intéressé.es par l’utilisation des données probantes dans les politiques éducatives en Europe ? 

 

Un rapport Eurydice de 2017 en fournit une synthèse : European Commission/EACEA/Eurydice. (2017). Support Mechanisms for Evidence-based PolicyMaking in Education. Eurydice Report. Publications Office of the European Union.

Dernière mise à jour: 09.11.2023 à 08:46
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